Marina Bellefaye
écrit, anime des ateliers, a fondé L’espace lisse et fabrique Un Point d’Où. L’écriture est son médium, c’est à partir de là que tout s’agence.
Elle commence à écrire réellement à l’école des Beaux-Arts. Un vaste champ d’exploration et d’expérimentation s’ouvre alors.
Elle le met d’abord en partage dans des ateliers, qu’elle anime dans les écoles du Parc naturel régional des Landes de Gascogne. D’une thématique, dite « nature », elle tire toujours un fil. Le thème devient pré-texte à l’écriture, dans le souci de venir agiter la langue et la mettre en mouvement. Car pour elle, la question du vivant passe avant tout par la langue.
Elle travaille aussi la lettre et cela la conduit à faire une première résidence de création au Maroc dans le cadre d’une coopération entre la province d’El Hajeb et le PNR des Landes de Gascogne. Elle cherche des formes graphiques, compose un alphabet entre motifs berbères et monogrammes de broderie de son arrière-grand-mère. Elle bricole de petits objets imprimés, crée des installations pour mettre en forme l’écriture. Elle s’aventure dans la coordination éditoriale d’un grand livre (WU, manuel de massage énergétique, 6 volumes – Éditions Trédaniel). Puis revient à la table et travaille la langue dans des formes poétiques. Elle passe un mois en résidence au Chalet Mauriac à Saint-Symphorien et commence à publier en revue (Nioques, Fuites, Ce qui secret…).
Elle anime toujours des ateliers, et pour cela se forme à l’INECAT[1], plus particulièrement à la médiation artistique en relation d’aide. C’est surtout son rapport à la psychanalyse qui oriente son parcours. Pendant quelques années, elle travaille avec l’association parADOxes à Paris. Anime, auprès d’adolescents en difficulté dans leur parcours scolaire, des ateliers « Chemin de Vie » qui permettent d’envisager autrement les questions d’orientation.
Elle s’investit aussi beaucoup dans une bagagerie parisienne avec des personnes sans domicile fixe. Elle propose des ateliers d’écriture où, par l’écoute et le partage de la conversation, reprendre langue.
Son implication dans le champ du social se marque ainsi et fait trace pour elle.
Dans le même temps, elle crée, à Cazats, l’association L’espace lisse. Pour inventer une façon d’habiter une maison de famille à la campagne, elle propose une forme de résidence de création. Des artistes viennent travailler et laissent trace de leur passage. L’histoire de ce lieu se sédimente, entre présence et absence, plein et vide, comble et manque... Battement fructueux. Elle nomme ainsi son projet, L’espace lisse, en référence à l’espace nomade défini par Deleuze & Guattari dans Mille Plateaux.
L’évocation du nomadisme lui importe et fait écho, à ce moment-là, à sa modalité de vie ; entre Paris et Cazats elle tire des lignes, faisant-refaisant, régulièrement ou pas, le trajet entre ces deux points de sa géographie.
Vient le temps du confinement qu’elle passe à la campagne, dans la maison de famille. Elle va de la maison au jardin. Elle regarde la grange à côté de la maison. Elle pense à ce/ceux qu’elle a laissé/s à Paris, les adolescents pour qui les ateliers s’interrompent (bien qu’elle en anime à distance), les accueillis de la bagagerie qui vivent un confinement sans chez-soi. Elle imagine créer ici, dans le lieu de L’espacelisse, un lieu de vie, au sens large. Le projet est très flou.
Elle est, par ailleurs, sollicitée pour écrire des parcours sonores. Travaille au sein d’Unendliche Studio pour de prestigieuses institutions (Institut Français, Monnaie de Paris, Musée Grand Siècle, Musée national de l’histoire de l’Immigration, Fondation Vimoti en Suisse...). Ces commandes la conduisent à se déplacer, poursuivant une forme de mobilité précieuse.
Puis elle revient s’installer à Cazats. La rencontre avec Thomas Bercy est déterminante. Le projet d’Un Point d’Où est lancé ! Pour faire lieu et trouver la formule, créant le lien. Lien à l’autre, au vivant, à l’ici et à l’ailleurs.
Depuis ce lieu (du) vivant, son geste s’affirme. S’orientant toujours de la psychanalyse, elle continue d’animer des ateliers. Elle écrit aussi, de la poésie. Tout en développant des projets de micro-édition, de performances et de lectures publiques. Désormais directrice artistique d’Un Point d’Où, ses propositions poétiques donnent lieu à de multiples collaborations.
Avec le souci, toujours, de se tenir en mouvement et de garder la langue vive !
[1] INECAT Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Transformation, Paris.
Thomas Bercy
Dans son langage poétique, le clarinettiste Sidney Bechet décrivait sa musique comme « une chose perdue en train de se trouver... C’est comme quelqu’un qui n’a pas de chez-soi, il parcourt le monde et où qu’il aille c’est un étranger. Il reste un étranger sur son lieu de naissance. Puis quelque chose se passe et il trouve un endroit, son endroit ».
Thomas Bercy est musicien depuis plus de vingt ans.
Formé dès son plus jeune âge par le pianiste Joseph Ganter, il passe par le CIAM puis par le conservatoire d’Angoulême. Mais le plus précieux apprentissage se fait sur scène, au contact du public et aux côtés de musiciens expérimentés.
La première partie de son parcours l’emmène souvent à l’étranger. En Europe centrale, en Scandinavie ou aux Etats-Unis, il participe à de nombreux projets. Ces années sont grisantes et formatrices. Il part pendant des mois sur des bateaux de croisière, se produit dans des festivals de Jazz internationaux ou fait la tournée des Alliances Françaises. Ce sont des centaines de concerts. On joue tous les jours, on y apprend l’endurance, le métier et la vie de groupe.
L’expérience acquise auprès de musiciens américains est décisive. Le sens du Show, la culture du Jazz s’ancrent dans une pratique, dans un vécu.
Parallèlement, Thomas Bercy devient une figure incontournable de la scène régionale. Il noue avec le Comptoir du Jazz une grande relation d’amitié. Pendant près de 15 ans il y anime avec son trio les soirées du lundi. Le succès retentissant de ces rendez-vous lui ouvre les portes de nombreux établissements bordelais comme le Grand Hôtel, le Café Maritime, la Guinguette Chez Alriq, les Sources de Caudalie... autant de lieux où il officiera comme pianiste résident.
En compagnie d’une poignée d’amis il fonde en 2001 le Collectif Caravan. Cette expérience associative jouera un grand rôle dans son épanouissement artistique. L’aventure musicale s’élargit aux champs du social, du politique et du spirituel. La prise de conscience des enjeux écologiques le conduit à reconsidérer en profondeur le sens et le développement de son activité. Progressivement, l’idée d’appliquer les principes de la permaculture au champ du spectacle vivant s’est imposée.
Assumant la direction artistique de ce collectif d’artistes jusqu’en 2020, il fait des choix radicaux. Comme celui de ne plus prendre l’avion, de travailler en circuit court et d’articuler son geste à un éco-système culturel - sur et avec le lieu où il vit. Sur la période 2015-2020, il met en œuvre une véritable saison culturelle sur le territoire Sud-Girondin où il réside désormais. Avec l’appui de partenaires locaux, il fonde le Festival Jazz Day in Saint Macaire. Il y présente chaque année ses nouvelles créations (Coltrane Jubilé, Jazz Continuum Orchestra...) où le Jazz rencontre les arts numériques, la danse contemporaine, la poésie, les arts plastiques, la philosophie et les sujets de société. Son engagement dans le maillage associatif impulse une nouvelle dynamique à son travail. Tout au long de l’année, il multiplie les rendez-vous avec le soutien de lieux associés à sa démarche : concerts, jam-sessions, rencontres-débats, expositions, stages...
Arrive la période Covid. Cet arrêt forcé tombe à point nommé, il coïncide avec la fin d’un cycle dans son parcours. C’est le temps des ruptures. Les confinements lui offrent le temps du recul.
À nouveau, il faut se réinventer et trouver sa juste place. Après un an et demi d’arrêt, la vie repart comme un printemps. La rencontre avec Marina Bellefaye et le projet de l’association L’espace lisse agit comme un détonateur. L’art et la vie dans un même élan, ils créent ensemble Un Point d’Où.
Par cet outil permettant d’engager la pratique artistique dans un projet global permaculturel, il retrouve le chemin et le sens de la musique. Une scène en son écosystème, affaire de liens à cultiver.
En novembre 2023 ouvre à Bordeaux un nouveau club de Jazz : Code 23. La direction artistique en est confiée à Thomas Bercy. Le public est au rendez-vous, l’établissement affiche complet plusieurs semaines à l’avance. Pour assurer les 5 concerts hebdomadaires il met en place un système de gestion partagée de la programmation.
Le Jazz à nouveau renouveau et Duke Ellington comme inspirateur. Lui qui savait associer les éléments hétéroclites, les talents les plus variés, les forces en présence et faire jaillir la Jungle. Et la joie d’être ensemble, de faire ensemble.